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"Toutes ces âneries sur les femmes"

Version courte.

 

Nombre de lecteurs depuis le 15/7/14. Merci à tous.

 

 

Auteur Peter Bu ( © )

en collaboration avec Benoît Vitse

 

 

La pièce entière et les commentaires sont à l'entrée du site

(voir l'onglet du sommaire Âneries sur les femmes ).

 

 

 

 

ARIANE- artiste peintre

VÉRONIQUE - avocate

MAGALI - religieuse

MARIE- scientifique

CAMILLE - philosophe

GÉRALDINE - députée

 

 

Ariane, Véronique, Marie et Camille ont entre 30 et 40 ans, font partie de la même classe sociale aisée et cultivée, sont élégantes et sportives. Presque toutes se connaissent, parfois de longue date. Elles se sentent belles et leur port l'exprime. Marie est un peu plus enveloppée, mais cela ne lui donne pas de complexes. Elle est de Marseille et dans le Sud on sait qu'un peu de graisse embellit la fesse.

 

Géraldine est plus âgée, mais pas très différente.

 

Magali est plus jeune, 20 à 25 ans, très jolie ce qui rend crédible l'histoire qu'elle raconte. Elle a l'énergie de son âge et évolue rapidement vers une certaine sagesse.

 

 

 

Scène 1

 

La première scène se déroule au cours du vernissage de l'exposition d'Ariane Heulot, plasticienne. Le public est composé uniquement de femmes.

 

GERALDINE- Ariane, franchement, c’est très réussi. Quand j’ai reçu votre carton d’invitation, je ne pensais pas assister à une exposition d’un tel niveau.

 

ARIANE- Merci d’être venue, et merci de votre compliment.

 

GERALDINE- Je suis sincère. Je regrette qu’il y ait peu de monde…

 

ARIANE- Pas de chance, il y a un grand match de foot... C'est de la « concurrence déloyale ».

 

GERALDINE- Ah, c’est donc pour cela qu’il n’y a pas d’hommes?

 

ARIANE- Oui, et puis aussi parce qu’une artiste femme… Il faut vraiment assurer, avec les canapés, pour faire venir ces messieurs. On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre.

 

GERALDINE- On en est encore là!

 

ARIANE- Écoutez la critique de Guillaume Marin. Il n’a jamais vu mes tableaux, il s'est permis de juger de leur qualité d’après mon site sur internet !

 

Ariane Heulot est une ravissante petite artiste qui compose des pastels extrêmement réussis, agréables à l’œil et qui orneraient avec bonheur bien de salles à manger.

 

Vous voyez: la cause des femmes avance. Aujourd'hui nous sommes capables de tapisser les murs!

 

GERALDINE- Vous savez, quand je suis devenue députée, on m’a dit, dans mon propre parti, que j’avais pris la place d’un homme. C'est ça, leur parité.

 

ARIANE- Vous venez de le dire: on en est encore là…

 

Puis-je vous présenter une grande amie qui m’a toujours soutenue, même et surtout dans les moments difficiles? Madame la députée, voici Véronique Fernandez, une redoutable avocate.

 

GERALDINE- Enchantée. Nous regrettions le peu de présence masculine…

 

VERONIQUE- Je me fais l'avocate du diable: il y en a quand même un ici.

 

GERALDINE- Où est donc cette perle rare?

 

VERONIQUE- Eh bien, sur ce tableau: Nu à la girouette.

 

GERALDINE- Dois-je avouer que c’est l'un de mes préférés?

 

ARIANE- Si vous saviez les difficultés pour faire poser ce modèle! Pour peindre, je me mets à l’aise, je ne porte qu’une chemise. Il voulait que je m’habille «correctement» parce qu’il craignait de gâcher le tableau avec une érection! Je lui ai dit de ne pas se vanter, je le payais pour se tenir tranquille. Nous avons eu quand même droit à un beau phallus au « garde à vous ».

 

Avec un garçon, c’est tout de suite compliqué. On a l’impression qu’un homme nu, ça ne peut pas être naturel. Les filles se tiennent comme il faut et ne posent jamais de problème.

 

VERONIQUE- Au contraire, on claque à peine des doigts et hop, elles sont à poil : au théâtre, au cinéma, dans la publicité, sans parler de la vie courante...

 

MARIE (s’approchant)- Ariane, avant de prendre congé, je voulais te redire à quel point tu peux me faire plaisir. A chaque fois tu me surprends, tu me donnes des émotions de plus en plus fortes…

 

ARIANE- Voilà Marie, toujours fidèle et toujours positive. Je te présente à Madame la députée Géraldine Aillot.

 

MARIE- Oh là, une députée! Ariane, continue comme ça et tu vas percer!

 

ARIANE- Véronique, Marie, je crois que vous ne vous connaissez pas...

 

VÉRONIQUE et MARIE se saluent.

 

GERALDINE- Aussi désuet que cela puisse paraître, quand je suis invitée à une exposition, je m'y rends. Je n'ai pas de mérite, j’aimais la peinture avant de connaître le monde politique. Et mon admiration pour le travail d'Ariane ne lui rapportera malheureusement rien, si cela peut vous rassurer.

 

ARIANE- Marie est chercheuse au C.N.R.S. Elle vient de recevoir le Prix Joliot - Curie dans la catégorie Femme scientifique de l’année. Biologiste et engagée en faveur des femmes dans la recherche. Enfin, elle est Marseillaise et fière de l'être.

 

GERALDINE- Je ne me doutais pas qu’il y avait ici tant de talents.

 

ARIANE- Vous n’avez pas encore tout vu! Finalement, il se pourrait bien que je sois la moins douée! Camille, peux-tu venir une minute? Alors, elle, c’est une pointure. Camille Jourdain, philosophe, reconnue désormais dans toute l’Europe qui pense!

 

GERALDINE (à Camille)- On se connaît. Je me demande toujours qu’est-ce que philosopher au féminin?

 

CAMILLE- Oui, on se connaît. Et vous savez parfaitement que je ne partage pas vos convictions. Je combattrai vos idées tant qu’il me sera permis de le faire. Quant à la philosophie, au féminin ou pas, elle ne se digère pas entre deux coupes de champagne...

 

VÉRONIQUE s'interpose:

 

VERONIQUE- Attendez, Mesdames, vous aurez tout votre temps pour vous quereller: il me vient une idée! Aujourd’hui, les hommes sont absents et les absents ont toujours tort. Si nous organisions un banquet juste entre nous? Un banquet comme on en faisait chez les Grecs anciens ou dans l'Italie de Boccaccio, autour d'un sujet qui nous amuserait. Pour dire ce que nous pensons, pour penser ce que nous ressentons, et aussi pour nous réjouir de cette camaraderie qui anime les femmes. Je vous propose un thème: toutes les âneries sur les femmes que les hommes ont pu écrire depuis la nuit des temps. Mais attention, il faudra que chacune intervienne avec un discours pointu.

 

MARIE- Moi, je suis preneuse!

 

GERALDINE- Moi aussi, je vote pour.

 

CAMILLE- Pardonnez-moi, j’ai trop de divergences politiques avec Madame la députée pour entrevoir la moindre camaraderie.

 

VERONIQUE- Tant mieux si vous n'êtes pas d’accord, politiquement, socialement, moralement, peu importe. Ce ne serait pas très drôle si nous pensions toutes la même chose.

 

CAMILLE- Va pour le banquet, il n'y pas que Platon qui sait allier bonne cuisine et philosophie.

 

VERONIQUE- Super ! On se voit dimanche pour nous organiser? Je vous invite chez moi vers 5 heures.

 

MARIE- Une minute ! Il nous faudrait aussi un homme.

 

TOUTES- Non! Pas d'hommes...!

 

MARIE- J'y tiens. Un homme nu!

 

TOUTES- Oh...?!

 

CAMILLE- Mais pourquoi faire?

 

MARIE- Pour nous souvenir que cette idée nous est venue à l’occasion de l'exposition d'Ariane, devant son tableau Nu à la girouette.

 

VERONIQUE- Il serait effectivement intéressant qu’un homme entende toutes les balivernes que ses semblables ont pu écrire sur nous.

 

ARIANE- Donc, je fais venir mon modèle?

 

MARIE- Merci, Ariane.

 

ARIANE- Il se fait tard, il ne viendra plus personne. Je pense que je pourrais fermer la galerie. Toutefois, il reste une jeune femme qui détaille mes tableaux depuis une heure. Je ne voudrais pas la chasser…

 

MARIE- Et si nous l’invitions à notre banquet? Ariane, si elle sait goûter ton art, (avec l'accent marseillais) cela ne peut pas être une coucourde (= citrouille, quelqu'un de bête) .

 

VERONIQUE- Bonne idée, mais comment l’inviter sans que cela ne paraisse un peu cavalier?

 

ARIANE- Mademoiselle? S’il vous plaît.

 

Mademoiselle, excusez-nous, mes amies et moi, nous sommes intriguées: vous observez les tableaux avec tant d’attention…

 

MAGALI s'approche d'un pas détendu. Tous ses mouvements sont déliés.

 

MAGALI- Cela vous étonne...?

 

CAMILLE- L’art doit créer un choc, c’est dans sa mission. Vous ne croyez pas?

 

MAGALI la scrute - et son attitude change. C'est à peine perceptible, mais ne serait-elle pas un peu gourde? (Ce changement insinue qu'elle a décidé de jouer le rôle d'une «nouille».)

 

MAGALI- Si vous le dites… Je ne suis pas du tout spécialiste. Je suis entrée ici un peu au hasard, après un cauchemar…

 

VERONIQUE- Écoutez, nous sommes en train d’organiser un banquet pour "célébrer" les textes les plus absurdes que les hommes ont écrits sur les femmes. Est-ce que vous accepteriez de vous joindre à nous? Nous serons entre nous.

 

MAGALI- Un banquet? Pour parler des hommes? Je n'en serais pas capable… Vous savez, je suis religieuse…

 

VERONIQUE- Ah, excusez-nous alors de vous avoir dérangée.

 

MARIE- (avec accent marseillais) Peuchère, une nonnette! C’est ce qu’il nous manquait. Je suis doublement preneuse.

 

GERALDINE- Comment se fait-il que vous ne portez pas l’habit?

 

MAGALI- J’ai dû y renoncer pour des raisons personnelles.

 

VERONIQUE- Écoutez, moi, je suis avocate et les raisons personnelles, je les défends du matin au soir…

 

Elle entraîne Magali un peu de côté.

 

Soyez sans craintes.

 

MAGALI- C'est facile à dire...

 

Bien, puisqu’il faut tout avouer, j’ai fauté. Et qui plus est, avec un prêtre. J’ai détourné un prêtre de son serment et j’ai fauté avec lui. Un confesseur. C’est lui qui a… Oui, bien sûr, c'est lui qui a fait le premier pas, mais j’ai accepté. Voilà, mon drame. Alors, je me suis dit que je n’étais plus digne de porter l’habit religieux.

 

VERONIQUE- Et lui, il le porte encore?

 

MAGALI- Lui, bien sûr, il faut bien que quelqu’un dise la messe.

 

Noir. Toutes les scènes se terminent d'un seul coup. Le rideau tombe, ou bien la scène est fermée par un écran de cinéma. Après un instant pourrait être projeté sur cet écran un dessin de Wolinski du livre Les droits de la femme, ou bien d'un autre dessinateur ou de photographe d'humour approprié, Dubout, Reiser, Chaval, Geluck, Stepan, Büttner...

 

 

qu'il faut.

 

Scène 2

 

Une cave au milieu de laquelle est dressée une table et six chaises. S'agit-il d'une belle cave gothique? Ou bien rappelle-t-elle le ventre maternel, ou le sexe féminin? Est-ce une cave qui s'ouvre sur des couloirs de labyrinthe? Ou encore, y a-t-il sur le mur du fond le dessin d'un crâne humain, une miche de pain, une cruche d'eau et trois bougies allumées?

 

La nappe tombe jusqu’au sol. Les couverts sont en place, les hors d'oeuvres, les fromages, les desserts, les fruits sont prêts sur les tables de desserte, les boissons à portée de main. Les plats chauds seront apportées d'un espace voisin.

 

Au début de la scène, seules CAMILLE et MARIE sont présentes.

 

CAMILLE- Cette cave, c’est vraiment une riche idée! Elle nous promet une Cérémonie fastueuse dans un souterrain, comme disaient les surréalistes.

 

MARIE- Je savais qu’Ariane nous dénicherait l’endroit qu'il fallait.

 

CAMILLE- Elle me fait penser au mot magique des alchimistes V.I.T.R.I.O.L. J'adore répéter la phrase cachée dans ce sigle, elle sonne si mystérieusement: Visita Interiora Terrae Rectificandoque Invenies Occultum Lapidem.

 

Traduite en langage courant, elle signifie à peu près Descends dans les profondeurs de la terre et, en rectifiant, tu trouveras la pierre cachée. Les alchimistes cherchaient la lumière au fond d'eux-mêmes.

 

MARIE- Mon premier amoureux était philosophe, lui aussi, mais il voulait chercher la lumière plutôt au fond de moi...

 

CAMILLE- Marie, cela me fait penser à votre proposition d’un homme nu.

 

MARIE- N’est-ce pas aussi « une riche idée »?

 

CAMILLE- Sur le coup, j’étais d’accord, mais non. Vous imaginez : six femmes et un type nu qui ne sait pas trop comment se tenir… Il ne va quand même pas nous servir à table!

 

MARIE- Non, tout de même pas, nous sommes capables de nous servir nous-mêmes.

 

CAMILLE- Ridiculiser le discours des hommes sur les femmes d’accord; humilier un pauvre bougre, pourquoi faire? Je n’en vois pas l’idée-force.

 

MARIE- Voilà Ariane. Elle nous dira ce qu’elle entend faire.

 

Ariane, Camille s'inquiète pour ton petit jeune homme. Elle craint qu’il ne prenne froid dans cette cave.

 

CAMILLE- Et puis, sa présence n’a pas beaucoup de sens.

 

ARIANE- Vous connaissez le tableau de Manet, Le déjeuner sur l’herbe. Quel sens trouvez-vous à la nudité de la femme au premier plan, alors qu’une autre, en arrière-fond, se baigne en chemise?

 

CAMILLE- Voilà, nous n'en sortons pas: un chef d’œuvre pour "Môsieur" Manet, tandis que nous nous cantonnons dans une vengeance malsaine.

 

Arrivée de VÉRONIQUE et GÉRALDINE. Toutes se font la bise, sauf CAMILLE et GÉRALDINE qui se serrent froidement la main.

 

ARIANE- J’ai bien peur que notre bonne-sœur nous fasse faux bond.

 

VERONIQUE- Pourtant, j’ai bien discuté avec Magali, l’autre soir. Elle m’a dit qu’elle était partante. Je lui ai demandé de venir en religieuse.

 

MARIE- Je trouve que vous exagérez…

 

GERALDINE- Je suis sûre qu’elle est terrorisée par cette soirée.

 

VERONIQUE- Mais non, rassurez-vous, c'est quelqu'un qui a de la jugeote, et je pourrais même penser qu’elle aime la provocation. En réalité elle panique devant sa propre audace. Vous verrez, elle en étonnera plus d’une ici.

 

ARIANE- Asseyons-nous.

 

GERALDINE- Et votre homme nu?

 

ARIANE- Il est là.

 

GERALDINE- Où ça?

 

ARIANE- Sous la table.

 

CAMILLE- Alors là, c’est exagéré!

 

ARIANE- Évidemment.

 

Une fille nue sous la table et ces messieurs libèrent leurs fantasmes, et peut-être même leurs braguettes, mais nous, nous savons nous tenir, n’est-ce pas?

 

CAMILLE- Pour moi, c’est de l’humiliation! Nous n'allons tout de même pas donner raison à Nietzsche qui affirme que Dans la vengeance et en amour, la femme est plus barbare que l'homme.

 

ARIANE- Homme manifestement malmené ou bien homme malicieusement manifesté? Échantillon? Esclave? Témoin?

 

MAGALI (habillée en religieuse)- Excusez-moi pour le retard. Je ne savais plus si je devais venir ou pas, si je devais m’habiller en religieuse ou pas... J’ai fini par préparer mon petit discours qui n’est pas bien fameux. En fait, je suis surtout venue entendre, comme l’autre jour j’étais venue regarder.

 

VERONIQUE- Magali, comme tu es arrivée en retard, et parce que tu nous as fait craindre que tu ne viennes pas, je propose que tu commences.

 

MAGALI- Bien, je serai débarrassée... Je vous demande la plus grande indulgence. Je ne suis pas une intellectuelle. Je ne peux qu’exposer mon expérience personnelle.

 

On installe Magali à la place d'honneur, au milieu de la table, dos au mur.

 

Ariane- Au courage de Magali! Je vous ai préparé un cocktail à la base de racine de gingembre, vanille, grenade, cardamone verte, capucine, poivre noir, miel et vin blanc moelleux. Ce savoureux breuvage s'appelle Philtre d'amour.

 

MARIE- Avec de tels philtres, on finira très vite sous la table.

 

ARIANE- Ça t'arrangerait, rouler sous la table avec mon modèle.

 

MAGALI- J’étais la sœur cadette de deux frères pas très surveillés par nos parents, petits commerçants, bons et très croyants, mais qui n’avaient jamais le temps de s’occuper de nous. Un appartement exigu. Une promiscuité de tous les instants. Adolescents, mes frères exhibaient leur sexe - cela les amusait de me choquer - et ils voulaient voir chez moi toutes les transformations dues à la puberté. Cela a été de mal en pis. Un jour, ils ont amené une copine et ont fait l’amour devant moi. La semaine suivante, ils ont purement et simplement proposé à leur meilleur ami de coucher avec moi. J’avais quinze ans et aucune envie de céder, mais comment résister à trois garçons pris de boissons ?

 

Une douce musique religieuse peut sous-tendre son discours.

 

Le lendemain, je suis partie chercher secours auprès du curé qui m’a envoyé chez les bonnes sœurs et ainsi de fil en aiguille, à 18 ans je me suis retrouvée dans le calme d’un couvent. J’étais considérée, choyée, respectée. Certes, il fallait assister aux messes, et il y en eu un paquet, mais bon, je m'y suis faite. Par contre quand la sœur supérieure m'a demandé si je voulais épouser Jésus, je ne savais pas très bien quoi répondre. Elle a compris mes interrogations et m'a dit:

 

Tu sais, moi, quand j’ai un doute, parce que nous avons tous un moment de tentation, j’ouvre la Bible au hasard et je trouve toujours une phrase qui me redonne une conviction forte dans l’amour de Dieu.

 

Bon, j'ai pris la Bible. De toute façon, il n’y avait que ce livre dans le couvent, ou alors des histoires de saints qui grillaient sur des fers chauffés à blanc et qui demandaient qu’on les retourne pour être bien cuits aussi de l’autre côté. Je prends la Bible, je l’ouvre en fermant les yeux et je tombe sur ce passage du Deutéronome que je connais maintenant par cœur : Lorsque des hommes se battent, si la femme de l’un d’eux s’approche et, pour dégager son mari des coups de l’autre, avance la main et saisit celui-ci par les parties honteuses, tu lui couperas la main sans un regard de pitié.

 

D’un seul coup, j’ai senti ma main partir, comme détachée du reste de mon corps. Vous pouvez imaginer combien ensuite je redoutais de remettre le nez dans la Bible. Ce qui m’avait surtout frappé, c’était la fin du texte: sans un regard de pitié. Comment peut-on couper la main d’une femme sans un regard de pitié?

 

Quand j'ai repris la Bible, j'ai tremblé de tous mes membres. Quelle autre mutilation m’attendait? J’ai pu lire que j’étais impure. Verset après verset, la femme est impure. Impure à la naissance, impure à la mort, impure par nature. Au couvent, même entre femmes, il n’était possible de voir autre chose que les mains et le visage. Pas de miroir. Nous devions considérer le corps, notre corps, comme un objet corrompu, sale. Cacher notre corps à notre propre regard!

 

Voilà, c’est le mot qui m’a hanté tant d’années: la honte, la honte d’être une femme. J’en ai parlé un jour au prêtre qui venait nous confesser. J’aimais beaucoup sa voix, douce et chuchotante; il me semblait que rien ne pouvait m’arriver tant que je l’écoutais. Il me prenait à part, me rassurait, me conseillait, m’encourageait, jusqu'à ce que je comprenne ce qu'il voulait vraiment. Il m'impressionnait tant... J'ai cédé. Ensuite, il m’a imposé le silence. Quand vous m’avez proposé de venir vous parler, j’ai pensé à tous ces versets bibliques qui répètent à longueur de pages: La femme doit demeurer dans le silence.

 

 

Collectif IVG Tenon

 

 

Scène 3

 

MARIE- Tout cela m'a ouvert l'appétit.

 

ARIANE- Madame est servie.

 

Velouté aux asperges. Pour notre banquet, j'ai choisi uniquement des plats et boissons qui, dans la tradition chinoise, correspondraient au principe féminin. En Chine, on aurait cherché l'équilibre entre les plats yin et yang, mais nous nous sommes réunies pour parler des âneries de ces Messieurs. Je trouve qu'il nous faut en contrepoint de la nourriture « féminine ».

 

VERONIQUE- D'après le grand penseur catholique Jospeh de Maistre nous menaçons le monde de pourriture et de gangréneuse décrépitude! Ariane, j'espère que ton sublime potage nous aidera à nous recrépir.

 

MARIE- Ne vous vous en faites pas, mangez tranquillement. La plupart des hommes rêvent de nous. Ils nous dévorent des yeux, mais écoutez ce qu'ils voient à notre place: je vous chante Lucrèce qui s'y connaissait:

 

Noire : elle est couleur miel,

sale et puante : naturelle,

les yeux glauques : c'est Pallas,

nerveuse et sèche : une gazelle,

la naine paraît une des Grâces,

la géante, déesse en majesté,

la bègue gazouille,

la muette est modeste,

la mégère bavarde égale ardente flamme.

 

ARIANE- Les hommes n'exagèrent pas leur enthousiasme, ils sont sincèrement aveuglés...

 

MAGALI- Seulement les hommes?...

 

VERONIQUE- Ma pauvre...

 

GERALDINE- Il n'y a pas que les poètes qui nous confondent avec les déesses. Il y a ceux qui, par politesse, ne demandent pas notre âge, ceux qui s’émerveillent de nous voir superbement vêtues - et ajoutent qu’un rien nous habille, ceux qui trouvent sublimes nos grossesses, ceux qui admirent notre patience avec les enfants, les vieux, les animaux, les plantes...

 

CAMILLE- ... ceux qui tombent à genoux devant notre grandeur d’âme, en particulier s'ils nous trompent...

 

ARIANE- ... ceux qui nous voient en Sainte-Vierge, Jeanne d’Arc, Anne Frank, Sophie Marceau. Pour les hommes, nous sommes toutes des muses!

 

MARIE- Je continue avec les poètes: écoutons Victor Hugo.

 

Oh ! muse, contiens-toi ! muse aux hymnes d'airain,

Muse de la loi juste et du droit souverain,

Toi dont la bouche abonde en mots trempés de flamme.

 

VERONIQUE-

 

Sois femelle de l'homme, et sers de Muse, ô femme,

Quand le poète brame en Âme, en Lame, en Flamme !

Puis — quand il ronflera — viens baiser ton Vainqueur!

 

Ce n'était pas de Victor Hugo, mais de Tristan Corbière.

 

CAMILLE - Corbière mériterait d'être affiché au-dessus de notre lit : Quand il ronflera ton Vainqueur. Avec « V » majuscule.

 

MARIE- Même Nostradamus a trouvé, entre deux prophéties sur la fin du monde, le temps de nous rendre hommage: il a rédigé pour nous un Traité des fards et des confitures.

 

ARIANE- Marie, veux-tu dire ta conclusion?

 

MARIE- Quant aux muses, leur fin est peu glorieuse. ''Muse" a donné le nom à une canule que les hommes impuissants peuvent introduire dans leur canal urétral. Muse dilate les capillaires et provoque une érection satisfaisante chez deux patients sur trois.

 

 

Scène 4

 

ARIANE- Après Velouté aux asperges je vous propose une autre entrée très féminine : Moules au gingembre.

 

GERALDINE- Apparemment, je suis désignée pour enchaîner.

 

Je continuerai par contraste: Magali a cité la Bible et Caile nous a rappellé un fieffé conservateur du XIXe siècle, Joseph de Maistre. J'aimerais vous lire quelque chose d'un autre Joseph qui a vécu à peu près en même temps que le précédent, mais lui se considérait socialiste libertaire. Vous savez, celui qui a dit et répété la fameuse phrase: La propriété, c'est le vol.

 

CAMILLE- Ce n'est pas faux...

 

GERALDINE- Voici Joseph Proudhon, tel qu’en lui-même :

 

Après que j'aurai établi sur faits et pièces infériorité physique, intellectuelle et morale de la femme, après que j'aurai montré, par des exemples éclatants, que ce qu'on appelle son émancipation est la même chose que sa prostitution, il ne me reste qu'à déterminer sur d'autres éléments la nature de ses prérogatives et à prendre en main sa défense contre les divagations de quelques (femmes) impures que le péché a rendu folles.

 

CAMILLE- Arrêtez tout de suite ! Vous inventez!

 

GERALDINE- Mais pas du tout! Écoutez bien: La femme est un diminutif d'homme à qui manque un organe pour devenir autre chose qu'un éphèbe. Partout éclate la passivité de la femme, sacrifiée, pour ainsi dire, à la fonction maternelle: délicatesse du corps, tendresse des chairs, ampleur des mamelles, des hanches, du bassin; en revanche, étroitesse et compression du cerveau. Et Proudhon conclue : La femme est une sorte de moyen terme entre l’homme et le reste du règne animal.

 

MARIE- ...délicatesse du corps, tendresse des chairs, ampleur des mamelles... (Ironique:) Je ne savais pas que Proudhon rêvait à ce point des femmes.

 

GERALDINE- Pardon, Marie, vous n'avez pas dû bien entendre: LA FEMME EST UNE SORTE DE MOYEN TERME ENTRE L’HOMME ET LE RESTE DU RÈGNE ANIMAL! Pour ne laisser aucun doute, Proudhon ajoute que, je cite:

 

TOUTES SAUF CAMILLE (lisent avec Géraldine): La femme est la désolation du juste.

 

CAMILLE claque la porte. Rideau. Projection.

 

 

 

Scène 5

 

ARIANE- Je vous propose de porter un toast à nos deux Joseph, un vieux toast russe: Пусть он дохнет! (Prononcer "pust" avec un "t" mouillé, "on" "dokhnet", "kh" étant une sorte d'expiration où le "k" s'entend à peine). Marie, pardon pour ma prononciation, je ne parle pas le russe. Cela signifie: Qu'il crève! Sous-entendu: Que crèvent tous ceux qui nous nuisent.

 

MARIE- (en russe) Tакой тост я никогда не слышалa. (Prononcer: Takoi tost ia nikagda nie slychala). Je n'ai jamais entendu un tel toast.

 

ARIANE- Et pour cause: les Russes n'aiment pas que les étrangers le connaissent, ils ne le portent jamais devant eux.

 

CAMILLE- Nous aussi, nous avons un toast « inavouable » : A nos femmes, à nos chevaux et à ceux qui les montent!

 

MARIE- Je l'aime bien, mais je trouve que le toast russe d'Ariane nous convient mieux: nous n'allons tout de même pas boire à la santé de Proudhon et de Maistre.

 

CAMILLE- Allez, qu'ils crèvent.

 

C'est à mon tour de présider. En tant que philosophe, j'ai envie de vous parler de mes confrères. Ils devraient penser mieux que tous ces cléricaux, politiciens et artistes que vous avez cités.

 

GERALDINE- Pour les âneries des philosophes, vous avez l'embarras du choix!

 

CAMILLE- Je vous le concède, à contrecoeur. En fait, je ne sais même pas par où commencer.

 

Si Michel Montaigne me voit, moi, philosophe en jupon, il se retourne dans sa tombe. N'a-t-il pas écrit: Quand je vois les femmes attachées à la rhétorique, à la judiciaire, à la logique et autres drogueries, j'entre en crainte.

 

Vous rendez-vous compte? Il entre en crainte!

 

MARIE- Moi, je serais prête à pardonner Montaigne pour son amour de la vie. Il a résumé sa philosophie par une superbe phrase: C'est une perfection absolue et comme divine que de savoir jouir de son être. Je ne sais pas si c'est divin, mais c'est éminemment féminin...

 

CAMILLE- Montaigne a écrit plein d'idées sensées, mais ce n'est pas le propos de notre soirée.

 

Comme Magali nous a montré de quelle manière les hommes nous voyaient dans l'Antiquité et au Moyen-âge - elle a cité surtout la Bible, mais cette vision a influencé tout le monde, y compris les philosophes. Moi, je piocherai dans les trois derniers siècles. Les hommes croient évoluer, mais c'est toujours le même son de cloche...

 

Entendez Emmanuel Kant qui partage la condescendance de Montaigne:

 

Le beau sexe a tout autant d'intelligence que le sexe masculin, seulement c'est une belle intelligence, la nôtre étant sans doute une intelligence profonde.

 

J'ignore si Kant trouvait notre intelligence si belle que cela, en tout cas, il avait quelques problèmes par rapport à notre corps. Pour lui La jouissance charnelle est, en principe, sinon toujours dans les faits, cannibale.

 

Avec son couteau, VÉRONIQUE peut faire un geste imitant l'émasculation.

 

MARIE se coiffe du couvercle du plateau à fromage et chante:

 

MARIE-

 

Je vis dans une serre,

sous une cloche de verre,

je suis Emmanuelle Kant,

petite fleur pensante.

 

Je vis dans une serre,

sous une cloche de verre

où je ne pense, comme tous mes paires,

qu'à ce que les femmes savent si bien faire.

 

CAMILLE- (applaudit :) Après Emmanuel Kant, je vous sers Denis Diderot:

 

J'ai vu l'amour, la jalousie, la superstition, la colère portés dans les femmes à un point que l'homme n'éprouva jamais. (...) La femme porte au dedans d'elle-même un organe susceptible de spasmes terribles, disposant d'elle et suscitant dans son imagination des fantômes de toute espèce. C'est dans le délire hystérique qu'elle revient sur le passé, qu'elle s'élance dans l'avenir, que tous les temps lui sont présents. (...) C'est dans la fureur de la bête féroce qui fait partie d'elle-même, que je l'ai vue, que je l'ai entendue. Comme elle sentait !

 

MAGALI- J'ignorais que nous sentions si mauvais pour ces messieurs.

 

MARIE, espiègle, asperge le public de parfum - ou de désinfectant?

 

CAMILLE- Mais, Marie!...

 

Pour te calmer, je te demande de nous lire un peu de Friedrich Nietzsche.

 

Elle lui tend ses notes.

 

MARIE- La femme est une surface qui mime la profondeur.

 

CAMILLE- Lis aussi un peu plus loin. Nietzsche nous offre un vrai feu d'artifice.

 

MARIE- Tout, dans la femme, est énigme, et tout dans la femme a une solution : elle s’appelle grossesse.

L'homme pour la femme est un moyen: le but, c'est toujours l'enfant.

Mais qu’est la femme pour l'homme ?

L'homme véritable veut deux choses: le danger et le jeu. C'est pourquoi il veut la femme, le jouet le plus dangereux.

Il faut que l'homme soit éduqué pour la guerre et la femme pour le repos du guerrier: tout le reste est sottise.

 

CAMILLE- Lisez, ou relisez-le, reposez-vous avec ce guerrier. Et tant que vous y êtes, faites-vous aussi plaisir avec un autre Allemand, Arthur Schopenhauer. Rien qu'à penser à son Essai sur les femmes, je mouille, comme s'exprimeraient nos amis les hommes.

 

Je me limite à trois perles, mais ne vous refusez pas la lecture de son Essai en entier:

 

Première perle: Ce qui rend les femmes particulièrement aptes à soigner, à élever notre première enfance, c'est qu'elles restent elles-mêmes puériles, futiles et bornées; elles demeurent toute leur vie de grands enfants …

 

MARIE- (ironique) Comme c'est joliment dit...

 

CAMILLE- Seconde perle: Il est évident que la femme est par nature destinée à obéir. La preuve en est que (elle) s'attache aussitôt à n'importe quel homme par qui elle se laisse diriger et dominer, parce qu'elle a besoin d'un maître.

 

Sa troisième grande pensée: Schopenhauer voulait abolir la monogamie parce que, d'après lui, la monogamie est fondée sur l'idée que la femme est, je le cite texto, l'égale de l'homme, ce qu'elle n'est d'aucun point de vue. Il en résulte que les hommes sensés et prudents hésitent souvent à se laisser entraîner à un pacte si inégal, à un si grand sacrifice.

 

Schopenhauer est resté vieux garçon.

 

MARIE- Je propose que nous mariions Schopenhauer à Camille. Ainsi apprendra-t-il de quel bois les femmes se chauffent.

 

Marie prend quelques fleurs et les fiche dans les cheveux de Camille, puis lui ajoute une serviette blanche en guise de voile.

 

CAMILLE- Non, merci, je suis déjà pourvue. Marie, arrêtez!

 

GERALDINE- Camille, vous êtes mariée? Vous êtes l'épouse de Philippe Jourdain? Il me semble le connaître. N'est-il pas membre de mon parti?

 

CAMILLE- Si, hélas.

 

GERALDINE- Ça alors! Comme ça, la lutte des classes s'arrête au seuil de la chambre à coucher?

 

CAMILLE- Voulez-vous que j'étale votre vie privée à vous?!

 

GERALDINE- Qu'est-ce qu'elle a, ma vie privée?

 

ARIANE- Géraldine, ne touchez pas à son époux, elle le défendra comme une lionne.

 

MARIE- Ariane, attention à ce que tu dis. Si Camille vit avec un lion, il dort 15 heures par jour. En plus, il arrive qu'un lion qui veut sauter une femelle dévore ses lionceaux et elle, dès qu'elle n'a plus de petits, tombe en chaleur. Résultat, elle vient frotter son cul au nez du mâle!

 

CAMILLE- Comme vous êtes vulgaire! Une vraie biologiste: on voit que vous passez vos journées à fouiner dans des cadavres.

 

 

 

Scène 6

 

MARIE- J'ai déniché un superbe Manuel scolaire catholique d’économie domestique pour les femmes, publié en 1960.

 

Marie lit ce qui suit:

 

Manuel scolaire catholique d’économie domestique pour les femmes

 

Préparez les choses à l’avance, le soir précédent s’il le faut, afin qu’un délicieux repas attende votre mari à son retour du travail. C’est une façon de lui faire savoir que vous avez pensé à lui. La plupart des hommes ont faim lorsqu’ils rentrent à la maison, surtout s’il s’agit de leur plat favori.

 

puis ce cartouche s'affiche à l'écran.

 

Pendant que MARIE lit ce premier texte, ARIANE, MAGALI ET VÉRONIQUE ont repoussé dans un coin toutes les chaises sauf une car l'époux dîne seul.

 

Les extraits suivants du Manuel seront successivement projetés au-dessus de la table, au fur et à mesure du jeu de MARIE et d'ARIANE qui les illustreront par un jeu muet. Elle représentera la femme, Ariane l’homme.

 

MAGALI, VÉRONIQUE, CAMILLE ET GÉRALDINE s'installent comme spectatrices.

 

Après l'affichage de la seconde cartouche, MARIE s’active autour de la table et prépare le dîner de son mari. Sa radio à piles diffuse une musique langoureuse.

 

Prenez quinze minutes pour vous reposer afin d’être détendue lorsqu’il rentre. Retouchez votre maquillage, mettez un ruban dans vos cheveux et soyez fraîche. Il a passé la journée en compagnie de gens surchargés de soucis et de travail. Sa dure journée a besoin d’être égayée.

 

Marie se jette sur la figure un peu d’eau de la carafe, met un ruban dans ses cheveux, retouche son maquillage.

 

Au moment de son arrivée, éliminez tout bruit. Soyez heureuse de le voir. Accueillez-le avec un chaleureux sourire et montrez de la sincérité dans votre désir de lui plaire.

 

ARIANE, qui s’est rapidement peint une moustache, entre. Elle prendra les attitudes attendues d’un homme.

 

MARIE éteint précipitamment la radio et avec un chaleureux sourire enlève à Ariane son manteau, prend sa serviette de cuir, dénoue ses lacets pour lui enfiler ses pantoufles.

 

Il se peut que vous ayez une douzaine de choses importantes à lui dire, mais ce n’est pas le moment opportun. Laissez-le parler d’abord, souvenez-vous que ses sujets de conversation sont plus importants que les vôtres.

 

ARIANE- Impossible de se garer avec ce connard de voisin; il prend toute la place avec son putain de break! N'oublie pas de racheter de l’huile pour la tondeuse. Parce que samedi je tonds la pelouse. Rien que pour l’emmerder!

 

Ne vous plaignez jamais s’il rentre tard, s’il sort pour dîner ou pour aller dans d’autres lieux de divertissement sans vous. Même s’il reste dehors toute la nuit, considérez cela comme mineur. Souvenez-vous qu’il est le maître du foyer et qu’il exercera toujours sa volonté avec justice et honnêteté.

 

ARIANE- (se goinfrant) A propos, demain je rentrerai tard. On m'a flanqué une nouvelle stagiaire que je dois former. Trop de boulot dans la journée, je vais bien être obligé de sacrifier la soirée Et comme la petite n’est pas dégourdie, ça peut durer...

 

Quoi? Qu’est-ce qu’il y a?

 

MARIE- Mais je n’ai rien dit! Je sais que tu exerceras toujours ta volonté avec justice et honnêteté.

 

Si votre mari se propose de vous aider à débarrasser la table, déclinez son offre, car il risquerait de se sentir obligé à le faire tous les jours. Au contraire, encouragez votre mari à se livrer à ses passe-temps favoris.

 

ARIANE- Veux-tu que je t’aide?

 

MARIE- Oh, non!

 

ARIANE- Pour une fois que j’étais bien disposé…

 

MARIE- Tiens, continue plutôt ton puzzle.

 

ARIANE- Un puzzle de 8000 pièces. Le jour où une femme réussira un puzzle de 8000 pièces, les poules auront des dents!

 

Préparez-vous à vous mettre au lit aussi promptement que possible. Si vous devez vous appliquer de la crème sur le visage ou mettre des bigoudis, attendez que le sommeil gagne votre mari, car cela pourrait le choquer de s’endormir sur un tel spectacle.

 

 

ARIANE- (continuant son puzzle) La nuit dernière, je ne te l’ai pas dit, mais figure-toi que j’ai vu dans mon lit une extra-terrestre. Une femme avec de la crème sur la gueule et des bigoudis verts sur le crâne. On se serait cru chez Dracula.

 

MARIE- (pleurant) J’avais pourtant attendu que le sommeil te gagne… Je ne sais plus comment faire…

 

MAGALI, VÉRONIQUE, CAMILLE ET GÉRALDINE (ensemble, à haute voix):

 

Si votre mari suggère l’accouplement, acceptez alors avec humilité tout en gardant à l’esprit que le plaisir de l’homme est plus important que celui de la femme. Lorsqu’il atteint l’orgasme, un petit gémissement de votre part sera tout à fait suffisant.

 

ARIANE- Tiens, 9 heures. Je suggèrerais bien l’accouplement.

 

TOUTES EN CHŒUR- Je l’accepte avec humilité.

 

 

Scène 7

 

ARIANE- Passons aux choses sérieuses: faisons-nous plaisir avec un plat qui me semble, lui aussi, très féminin, Foie gras de canard poêlé aux pommes reinettes. Pas de gingembre, mais toujours du miel - et du calvados. Alcool de pomme, le fruit d’Ève, fruit de la tentation...

 

VERONIQUE- Puis-je reprendre notre petit jeu de Toutes ces âneries ?

 

Vous avez cité les préjugés des religieux, des poètes et des philosophes. Voyons maintenant comment leurs bêtises se traduisent dans les lois. Ne croyez pas que leurs paroles ne sont que des joutes intellectuelles, cette façon de nous voir intervient dans notre vie de tous les jours.

 

Je mentionnerai juste le Code civil de Napoléon, fondement de notre système législatif. Il a même influencé d'autres pays. Voilà ce qu'il dit à notre sujet:

 

La femme est donnée à l’homme pour qu’elle lui fasse des enfants. Elle est donc sa propriété comme l’arbre fruitier est celle du jardinier. (...) Les personnes, privées de droits juridiques, sont les mineurs, les femmes mariées, les criminels et les débiles mentaux.

 

MAGALI- Cela n'a pas beaucoup changé depuis Saint Paul.

 

VERONIQUE- Cela a même empiré. Saint Paul ne nous avait pas mises à égalité avec les criminels et débiles mentaux.

 

L'application juridique du principe la femme est l'arbre fruitier appartenant au jardinier a évidemment mené à des catastrophes.

 

- Pendant plus d'un siècle, la femme ne pouvait témoigner devant un tribunal, et encore moins faire un procès sans le consentement de son mari, pas plus qu'exercer une profession.

 

- Si, par miracle, son mari lui permettait de travailler à l'extérieur, c'était lui qui disposait de son salaire.

 

- En cas d'adultère, celui du mari n’était sanctionné que s'il était commis sous le toit familial et de façon répétée. C'est à dire jamais. Allez confondre votre mari infidèle chez vous et plusieurs fois de suite...! Par contre, l'adultère de l’épouse était, lui, passible de prison.

 

CAMILLE- Mais c'était un progrès! On ne les brûlait plus comme sorcières...

 

 

Scène 8

 

TOUT LE MONDE est sur la scène, sauf MAGALI et VÉRONIQUE qui entrent un peu après les autres. Elles s'amusent en complices.

 

ARIANE- De quoi un banquet de femmes ne pourrait-il se passer?

 

TOUTES- De chocolat!

 

ARIANE- Et voilà, Le gâteau aux trois chocolats, amandes concassées et torréfiées, sur lit de framboises et de kiwi.

 

MARIE- Bénie soit Ariane!

 

ARIANE- Revenons à nos moutons, nous n'avons pas fini de les tondre. Après la religion, la poésie, la politique, la philosophie et la loi, il nous reste la psychanalyse. Préparez vos mouchoirs: certains de ces « connaisseurs de l'âme » me font pleurer de rire.

 

Magali- Les psychanalystes? Ils sont les descendants directs des curés.

 

Elle se lève et rejette sa robe de nonne. Elle ne porte rien dessous.

 

MARIE- Mais qu’est-ce qui t’arrive, Magali?

 

Magali- Ariane veut parler des psychanalystes, alors me voilà, je suis prête. Après ce que j'a vécu avec le curé je ne croyais plus trop à l'intimidation de l'église. Finie la honte! Plus de culpabilité! S’il faut tout rebâtir, allons-y !

 

ARIANE- Parfait ! Les psychanalystes aiment commencer à la naissance.

 

Entrez, Sigmund Freud, le plus grand parmi les grands! Sonnez, tambours!

 

Vous avez toutes lu, ou entendu parler de ce que Freud a appelé Complexe de castration. D'après lui, nous voudrions avoir un pénis comme nos petits frères, même si nous n'avons pas de petits frères, et ce désir ne disparaitrait jamais complètement. A défaut, nous désirons un enfant de notre père, puisque la petite fille que nous avons été a découvert très tôt que lui en avait un, pénis, et plus important que le petit oiseau de notre frère. Freud affirme que le report de ce désir impossible se fait très difficilement sur d'autres hommes, et souvent ne se fait pas du tout.

 

MARIE- Laquelle de vous a réussi?

 

CAMILLE- Réussi quoi? Se libérer, ou bien avoir un enfant de son papa?

 

VERONIQUE- Pauvres mâles ! Nous les attirons si fort qu'ils déraillent. C'est logique qu'après ils racontent des âneries.

 

MARIE- Paix à leur âme.

 

Est-ce que je peux passer à ma partie ? Je crois que les opinions sur les femmes de mes collègues scientifiques ne sont pas non plus piquées des vers non plus.

 

Je commencerai par Aristote qui s'est beaucoup intéressé à la biologie.

 

CAMILLE : Nous avons déjà cité les philosophes ! Nous n'allons pas recommencer depuis l'antiquité.

 

MARIE- Comme il vous plaira. Je mentionnerai alors Levinus Lemnius, médecin connu dans toute l'Europe, qui a écrit au XVIe siècle, :

 

La femme abonde en excréments et à cause de ses fleurs (Lemnius nommait ainsi nos règles) exhale une mauvaise senteur, aussi empire-t-elle toutes choses et détruit leurs forces et facultés naturelles.

 

Lemnius croit que le sang menstruel fait faner les plantes, tue les abeilles, rend les chiens enragés, stérilise les ânesses et avorte les juments. Il croit même que ce sang ternit l'ivoire et élime le tranchant des outils en fer.

 

MAGALI- Encore aujourd'hui certains musulmans seraient d'accord avec lui. Allah n'a-t-il pas ordonné : S'ils t’interrogent sur les menstrues, dis: c’est une source de mal.

 

MARIE- Allah ne sait pas trompé, il a juste oublié d'ajouter qu'elles été une source de mal pour nous.

 

MAGALI- Laissons le Prophète reposer tranquille, ce sont surtout les exégètes qui posent problème - chez les musulmans comme chez les catholiques, calvinistes, juifs, communistes ...

 

CAMILLE- Oh, oh, oh, oh...! Tu y va un peu fort avec le communisme. Ce n'est pas une religion!

 

GERALDINE- Vraiment pas ? Finalement, vous avez peut-être raison : on ne peut pas comparer les cathédrales gothiques et les salles de réunion communistes.

 

MAGALI- Quant aux églises, tous ces bons croyants ont fabriqué des fouets pour tenir les femmes à carreau. Et pour nous faire avaler leurs idées, ils nous ont éloignées de l'instruction. Ce n'est pas pour rien que le Rabin Eliezer ben Hyrkanos mettait les Juifs en garde: Celui qui apprend la Torah à sa fille, perd son temps. Plutôt brûler la Torah que la donner aux femmes.

 

ARIANE- Balzac n’était pas rabbin, mais pour lui aussi c'était clair: Vous devez avoir horreur de l'instruction chez les filles. Laisser une femme lire les livres que son esprit la porte à choisir, c'est lui apprendre à se passer de vous.

 

MARIE- Horreur pour horreur, je cite Sacha Guitry: Quand on dit d'une femme qu'elle est cultivée, je m'imagine qu'il lui pousse du persil dans les oreilles et de la scarole entre les jambes.

 

GERALDINE- Voilà la réponse à ma question sur les femmes philosophes: elles servent à faire pousser des légumes.

 

CAMILLE- Je ne suis pas sûre que les femmes politiciennes soient aussi utiles.

 

 

Scène 9

 

ARIANE- Pour nous aider à digérer, voici Le sorbet au concombre et à la menthe de Karine Muraille.

 

CAMILLE- Cela tombe bien, après un tel gavage...

 

MARIE- Je ne vous ennuierai pas avec des citations de mes collègues, mais pour moi, biologiste, il est terrible que même la science, au lieu d'apporter la lumière, peut contribuer à assombrir le monde. Les chercheurs font des découvertes fabuleuses, par exemple les testes intra-utérins qui chez nous sauvent tant de futurs enfants. En Inde, en Chine, il paraît qu'au Vietnam et ailleurs encore, on les utilise pour avorter massivement les fœtus féminins. Les femmes ne sont pas seulement impures, là-bas elles ne méritent même pas de vivre. Rien qu'en Inde cela représenterait 50 millions de petites victimes par an.

 

VERONIQUE- Avant on tuait les filles "en trop" après la naissance...!

 

MARIE- Quel progrès!

 

GERALDINE- L'extermination des petites filles n'est pas motivée par la religion, mais par l'économie.

 

CAMILLE- Vous n'allez pas absoudre les religions aussi facilement! Ce sont tout de même elles qui ont grandement contribué à dévaloriser les femmes.

 

ARIANE- J'ai toujours été intriguée par le fait que si les prophètes étaient partout les hommes, leurs fidèles se recrutaient surtout chez les femmes.

 

MARIE- Ne serait-ce pas notre ventre qui nous pousse vers le mysticisme ? Porter à l'intérieur de soi un bébé, tout de même, cela dépasse l'entendement...

 

CAMILLE- Ce n'est pas une raison pour se jeter dans les bras des curés. Oh, Magali, excusez-moi!

 

MAGALI- Il n'y pas de quoi.

 

Je suis en train de lire un bouquin qui me stupéfie, Les femmes de dictateur de Diane Ducret. Par moment, j'ai honte d'être femme. Imaginez que ce nain de Hitler a reçu plus de lettres d'amour que Mick Jaeggers et les Beatles réunis! Encore en 1941, après deux années de guerre, dix mille femmes se pâmaient en pensant à lui. De son côté, Mussolini récoltait 30000 à 40000 lettres par mois, le plus souvent de la part des femmes qui ne l'avaient même pas approché. Les femmes russes ont pleuré Staline, aujourd'hui, elles rêvent de Poutine. Avec cela, Hitler et Mussolini méprisaient les femmes et Staline a poussé la sienne au suicide. Mussolini a décrit leur attitude avec une grande économie de mots: La foule, comme les femmes, est faite pour être violée.

 

GÉRALDINE - N'exagérons rien, il n'y a pas que les femmes qui ont succombé à Hitler, Mussolini et Staline. Les hommes aussi les ont suivis comme les moutons.

 

A part cela, Magali, qu'est-ce que déjà vous pouvez savoir des hommes et des femmes ? Votre curé n'a pas pu vous en apprendre bien long.

 

CAMILLE- Il y a des curés qui s'y connaissent, surtout avec des petites filles...

 

MAGALI- Ariane et Marie ont raison, ce sont souvent les femmes qui exécutent les idées barbares des hommes. Et, en plus, elles les transmettent à leurs enfants. En Afrique et ailleurs, ce sont les femmes qui excisent les petites filles, et encore elles qui recousent le vagin des adolescentes pour être sûres de les livrer à leur mari vierges.

 

GÉRALDINE- Vous ne pourriez pas nous l'épargner ces horribles précisions?...

 

MARIE- Et vous, les politiciens, vous ne pourriez pas chercher comment épargner ces tortures aux jeunes Africaines ?

 

GERALDINE: Si, si, en décembre 2012 l'ONU a voté une résolution contre cette tradition. Elle a déjà été signée par 110 États dont presque la moitié en Afrique.

 

MARIE- C'était pas trop tôt !

 

VERONIQUE- Puis-je vous faire remarquer que les hommes n'ont besoin ni de religions, ni de lois machistes, peut-être même pas de préjugés pour nous violer...

 

MAGALI- ... ni pour s'opprimer entre eux, se torturer et s'entretuer dans des guerres! Voilà pourquoi, à la fin de sa vie, Goethe a soupiré: Mieux je connais les hommes, plus j'aime mon chien.

 

ARIANE- Attendez, les filles! Arrêtez! Notre banquet devait être un moment de plaisir et d’amitié dans une grotte accueillante, et à présent il glisse dans un vertigineux trou noir.

 

Buvons à la jeunesse, à la beauté, à la joie de vivre !

 

Je m'attendais à des absurdités, mais certaines de ces âneries que vous avez citées dépassent mon entendement. C'est amusant pendant un moment, puis on se lasse. Cela pourrait nous suffire.

 

MARIE- Ariane, sais-tu pourquoi Dieu a créé les femmes stupides? Pour qu'elles puissent supporter les hommes.

 

ARIANE- Je n'oublie par les férocités que les hommes ont pu faire aux femmes, mais d'un autre côté, il nous est facile de les mener par le bout du nez, pour ne pas le dire plus crument. Leur tête, c'est un étage, leur estomac un autre, ils en ont un troisième, mais pas d'escalier entre eux...

 

MARIE- Ariane, avoue : tu t'en fiches de ce qu'ils disent, pourvu qu'ils baisent bien.

 

ARIANE- Pourquoi pas ? Je ne suis pas un homme pour écouter des contes de fées pendant 1001 nuits .

 

MARIE - Pour nos mères l'amour passait par l'estomac. Pour notre génération il est descendu un peu plus bas. Où va-t-il se glisser pour nos filles ?

 

 

.....

 

Si ces extraits vous ont intéressés, merci de lire, puis d'exprimer votre avis ici ou sous la pièce entière, à l'entrée du site, l'onglet Âneries sur les femmes.

 

Veuillez diffuser l'information sur son existence.

 

 

Dessin de Bohumil Štepán - éd. SNKLU, Prague 1963

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